1994: Strasbourg, chroniques d’urbanisme: interview de Marcel Rudloff

Marcel Rudloff, 1923-1996, maire de Strasbourg et Président de la CUS de 1983 à 1989.

Quand Rudloff parlait du conflit avec les voitures, il parlait de comment relier avec un tram en surface le centre-ville au centre du Neudorf et au centre de Schilick, Bichheim et Hoenheim. C’est impossible, et ça manque toujours. Il a toujours encore raison.

Retrouvé en mars 2019 ce livre de 1994 sur internet: www.adeus.org/productions/strasbourg-chroniques-durbanisme/files/chroniques_urba.pdf

Je l’avais acheté: très peu sur le dossier du métro VAL, mais peu aussi sur le dossier tram: que les grands axes de la politique des transports. Frustré, je décide d’aller à la CUS leur demander le dossier de la DUP du métro. Lire + d'infos, téléchargements

Le plus intéressant dans ce livre est définitivement l’interview vers la fin de Marcel Rudloff (maire du métro VAL de Strasbourg de 1983 à 1989, victime d'une alternance politique), dont voici ci-dessous l’extrait le plus intéressant. Remarquons que Marcel Rudloff ne prononce hélas jamais le mot métro mais toujours uniquement le mot VAL… alors que c’est un vrai métro (mobilité décarbonée explose: capacité double et vitesse moyenne triple du tram, etc...)

L’interview est à savourer et reste complètement d’actualité: une des rares analyses intelligentes à Strasbourg depuis 1989 sur les transports en commun de Strasbourg.

Le SDAU (schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme) proposait un transport en commun en site propre, sans préciser les choix techniques. Estimez-vous qu'il aurait été possible de revenir sur ce principe ? 

M.R. - L'histoire de ce transport en commun remonte au ministre Cavaillé dans les années soixante-dix. Il avait annoncé une prise en charge de l'Etat à 50 % pour les villes qui restructureraient leur système de transports en commun. Jean-Claude Burckel a saisi cette occasion pour lancer un dossier de système innovant de transport en commun par rapport au bus en circulation. Le tramway était le procédé proposé : il était propre et redevenait original. Des délibérations de principe ont alors été prises successivement en vue de la réalisation d'un transport en commun avec des passages souterrains plus ou moins longs. Tout au long de cette période antérieure à mon accession à la présidence de la CUS, une participation de l'Etat à 50 % était toujours à l'ordre du jour alors qu'elle s'est révélée quasiment irréalisable. Mon prédécesseur a ainsi pu dégager la responsabilité de sa municipalité. De fait, le grand défenseur du dossier a été Jean-Claude Burckel. C'est grâce à lui qu'il y a eu un dossier tramway, puis un dossier VAL, car les autres élus étaient, sinon hostiles, du moins réservés. 

Un an après mon élection, le dossier est arrivé sur mon bureau et on m'a affirmé qu'il y avait risque de perdre les crédits éventuels de l'Etat si nous ne décidions pas une proche réalisation. Nous avons repris les études avec une option «souterrain long» (de la place de l'Homme-de-Fer à la place du Corbeau). Nous sommes allés à Nantes voir fonctionner le tramway, mais personne n'en est revenu convaincu ; il faut dire que celui-ci n'était à ce moment-là à Nantes qu'une liaison de ceinture et qu'il circulait uniquement en périphérie. 

C'est en 1986 (ndr: pas avant? la ville a choisi le métro VAL en 1985) qu'Antoine Weil, alors directeur de Matra Transports, a pris contact avec moi pour me soumettre l'option VAL. Avec ses collaborateurs, il nous a convaincus que le tramway en surface était passéiste, tandis que le VAL était une solution moderne. Nous sommes allés à diverses reprises à Lille et nous avons été unanimement impressionnés par la perfection du système. En réalité, le vrai problème était et est toujours de savoir si le transport en commun doit se faire en souterrain ou en surface. Nous avons pensé que seul le souterrain était compatible avec les exigences de la vie urbaine et qu'il évitait de défigurer la ville. Ensuite, le VAL nous paraissait préférable au tramway. Oserais-je dire que je ne rougis pas de ce choix ? 

- Il y avait également une contrainte financière... 

M.R. - Oui. Sans doute y avait-il également un problème de coût, mais il n'était pas insurmontable. Au cours d'une entrevue personnelle, le Premier ministre Jacques Chirac m'avait annoncé la participation de l'État à raison de 580 millions de francs hors taxes pour la première tranche. Cependant, à l'approche des élections municipales de 1989, j'ai suspendu l'avancée du dossier qui avait jusque-là cheminé normalement. Certains me le reprochent encore, mais j'estimais que la démocratie m'imposait de ne pas rendre le dossier irréversible à quelques mois d'une consultation des électeurs. 

- Mais vous êtes convaincu qu'il fallait un transport en site propre à Strasbourg ? 

M.R. - Oui. Je pense simplement que, s'il s'agit de faire circuler un transport en site propre en surface, il est inutile de faire des investissements lourds. Autant prendre de simples mesures réglementaires de limitation ou d'interdiction de circulation des voitures particulières dans certaines artères. De toute manière, je reste persuadé qu'un jour arrivera où le souterrain actuellement mis en place pour le tramway sera prolongé non seulement pour la traversée du centre mais pour la desserte de Schiltigheim et de Neudorf. Passer en surface, c'est limiter la circulation des voitures et l'accès aux faubourgs. Ce qui est en cause, ce n'est pas la technique du tramway par rapport à la technique du VAL, mais c'est le transport en surface par rapport à un transport souterrain. La difficulté sera de relier Schiltigheim, Neudorf et le centre d'Illkirch, et je donne rendez-vous à ce moment-là aux détracteurs du transport souterrain. 

On a parfois du mal à comprendre la position de certains opposants... Dans ce dossier, je ne suis pas «dans l'opposition», je suis au-delà de l'opposition. Dans l'opposition on peut parfois être incohérent. Je me permets de rappeler qu'Alfred Muller, alors dans l'opposition, s'est abstenu dans le vote sur le VAL. Roland Ries n'était pas clairement «anti-VAL». Seul André Fougerousse était vraiment opposé à notre solution. Non pas parce que cela ne desservait pas Ostwald mais simplement il était clairement anti-VAL. Il était le seul véritable opposant au projet dans le conseil de la Communauté urbaine de l'époque.

image: extraite de «1986 le VAL votre futur métro» https://drive.google.com/file/d/0B3ljVlq_LZzEYXR2QmF4T2lPcVE/view
«Le VAL une nouvelle ambition pour Strasbourg
⬜️Il est des moments privilégiés pour un élu et singulièrement pour un Conseiller de la Communauté Urbaine de Strasbourg: celui où il est invité à sortir de la gestion du quotidien, pour prendre résolument le futur, notre futur, à bras le corps.
⬜️Et c'est bien de cela dont il a été question lors de la séance du 29 novembre 1985, au cours de laquelle Ie Conseil de la Communauté a été appelé à se prononcer sur l'opportunité de réaliser ou non, à Strasbourg, un projet de transports en site propre.
⬜️Ce débat de haute tenue nous a conduits à une réflexion qui porte bien au-delà de l'an 2000 et qui doit nécessairement être globale, puisqu'elle s'inscrit dans Ie cadre de l'évolution de notre Société tout entière tournée vers l'informatique, l'automatisation et les communications.
⬜️L'exercice demandé n'a pas été, évidemment, aisé et il ne l'est jamais. Certains peuvent estimer en effet devoir s'en tenir au mirage du court terme, ancrés à un passé sans inconnues, par crainte des incertitudes de l'avenir.
⬜️Mais l'évolution de notre Société est telle qu'elle fait aujourd'hui obligation, non seulement aux chefs d'entreprises mais également aux élus, responsables des collectivités locales, de savoir anticiper sur Ie futur.
⬜️La mission première des élus est certes de gérer les fonds publics en bon père de famille, d'organiser Ie meilleur service public pour l'usager au moindre coût pour Ie contribuable. Mais cela ne suffit plus. Dans un monde où les idées évoluent plus vite que les hommes, nous devons prendre conscience que pour assurer l'avenir, nous nous devons de faire preuve d'un esprit nouveau, pour mieux prendre en compte I'évolution des techniques et les aspirations des générations montantes. En d'autres termes, les élus se doivent de cultiver l'esprit d'entreprise, car ils sont devenus par la force des choses de véritables managers.
⬜️La gestion, même rigoureuse, des fonds publics, pour indispensable et impérieuse qu'elle soit, n'est pas une fin en soi; elle peut, elle doit à nos yeux, ne pas être dépourvue d'ambition.
⬜️Et c'est bien d'ambition dont il s'agit: une nouvelle ambition pour Strasbourg et la Communauté Urbaine, pour l'ensemble de notre région: celie de doter notre belle ville, à laquelle nous sommes tous attachés, d'un réseau de transports en commun, associant les différents modes de transport: voies ferrées (SNCF), réseau BUS (CTS), articulé autour d'une nouvelle ligne de transports en site propre, type VAL,
  • moderne
  • attractive,
  • d'aujourd'hui et surtout de demain.

⬜️Nul doute que cet équipement structurant qui ne veut pas être en opposition à d'autres projets tels que ceux de la voirie ou des parkings, mais en complémentarité à ceux-ci, donnera une nouvelle dimension à notre agglomération qui participera ainsi à I'avènement de l'ère nouvelle des communications et à la mise en oeuvre d'une nouvelle politique au service d'une nouvelle ambition: celle de favoriser Ie progrès économique et social et d'offrir aux jeunes générations des raisons d'espérer dans leur avenir.
⬜️Strasbourg, ville historique, se veut également être ville d'avenir. Elle a été par Ie passé ville pilote et exemplaire. Elle Ie sera à nouveau grace à vous, Strasbourgeoises, Strasbourgeois, habitants de la Communauté Urbaine.
⬜️Le VAL 2000 est l'affaire de tous, de nous tous. Et c'est donc dans I'enthousiasme et avec foi que nous allons tous ensemble écrire une nouvelle page de l'histoire de Strasbourg.
Jean-Claude BURCKELVice-Président de la Communauté Urbaine de Strasbourg»Jean-Claude BURCKEL, né le 26 juin 1935 à Strasbourg, décédé le 19 octobre 2023 à Strasbourg.